À chaque fois que je rentre chez moi, que je suis obligé de lancer mon groupe électrogène, de subir le ronflement des deux groupes de mon voisin, de lutter contre mes envies de maudire les gens de la SBEE – qui n’y sont d’ailleurs pas pour grande chose – je ne pense qu’aux politiciens qui ont conduit ce pays depuis les indépendances jusqu’à nos jours. Et – Dieu m’en pardonne – ce n’est pas des sentiments chrétiens qu’ils m’inspirent.

Mes instituteurs au cours primaire m’ont appris avec beaucoup de soin, le respect dû aux aînés et à leur mémoire et croyez-moi, c’est tout ce qui me reste comme sorte de respect pour ceux qui nous ont dirigé jusque là : le banalissime respect que l’on doit à tout humain et particulièrement aux personnes en autorité, l’honneur dû à leur rang, la considération due à leurs attributs et pour ceux d’entre eux qui ne sont plus, la déférence due à leur mémoire.

Par contre ce que je suis bien incapable de leur donner même dans mes rêves les plus fous, c’est l’admiration que les grands hommes inspirent à leur peuple. J’attends toujours qu’on me propose des candidats valables pour recevoir un tel mérite. Où se trouvent nos grands hommes ? Que retiendra l’histoire sinon l’incapacité notoire de deux générations entières de gouvernants à donner au peuple qui aura cru en eux, ne serait-ce que l’ombre d’une lumière et la goutte prémonitoire d’une source d’eau vive ?

Le Bénin aura t-il ses grands hommes un jour ? Il aurait déjà fallu en effet, que ces personnes que nous avons élues, honorées et engraissées vainement nous sortent du noir dans lequel nous baignons depuis la nuit des temps. Seraient-ce nos accointances avec les forces des ténèbres qui nous valent d’être des abonnés éternels à la nuit ? Quelle espèce de développement espérons-nous si le strict minimum que constitue l’énergie ne nous est point assuré ?

Le Bénin aura t-il ses grands hommes un jour ? Il aurait déjà fallu en effet, que ces personnes que nous avons élues, honorées et engraissées vainement nous sortent du noir dans lequel nous baignons depuis la nuit des temps.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention SEM Barthélémy Kassa venir nous expliquer à la télévision il y a quelques jours que ce n’était pas la faute du gouvernement si les problèmes de délestage étaient en train d’étouffer ce peuple. Soit. J’en conclus que depuis 1960, ce n’est pas la faute des pilotes du véhicule Bénin si nous n’avons pas assez d’énergie pour combler nos besoins à avancer. Poussons donc la réflexion jusqu’au bout …

Selon Monsieur le Ministre, c’est la faute aux cadres qui se débrouillent toujours pour passer outre les consignes de la Haute-Autorité. En résumé, si depuis 1960, on n’a toujours pas de l’électricité en quantité suffisante, c’est la faute aux cadres qui n’aiment pas leur pays et ne travaillent pas comme il se doit. Les autorités au sommet ont donc toujours eu l’intention de bien faire les choses. Elles ont mis en place un système éducatif efficace qui forme de bons techniciens et pas des commis de bureau. Elles ont toujours mobilisé suffisamment d’argent, nommé les meilleurs cadres, mais ces derniers les ont trompé et ne veulent pas travailler. Soit !

La question à un million est donc celle-ci : pourquoi les cadres béninois pourtant réputés compétents quand ils travaillent sous d’autres cieux, sont-ils si improductifs dans leur propre pays ? Puisque ce n’est pas la faute au gouvernement, cela doit être dû au peuple. Si si, au peuple béninois ! C’est bien lui qui fabrique des enfants ingrats et davantage préoccupés de leur ventre que du devenir du pays. C’est notre faute, nous qui faisons des enfants béninois, les envoyons à l’école béninoise pour qu’ils deviennent des cadres béninois. Certainement que pendant que nous les enseignions, nous avons oublié de leur apprendre les valeurs qui gouvernent à la prospérité d’une nation. Ou bien ?

Le hic, c’est que ce n’est pas le peuple qui a initié, mis en oeuvre et rectifié au cours de l’histoire le système éducatif de ce pays. Ce n’est pas non plus le peuple qui a inventé un pays où même les cancres avec un peu d’argent, se font passer pour des politiciens. Ce n’est pas non plus le peuple qui procède à la nomination, à la gestion des carrières et au limogeage des cadres. Ce n’est pas le peuple qui siège dans les tribunaux et cours, encore moins au Parlement. Ce n’est pas le peuple qui paraphe les accords de prêts et les relevés du Conseil des Ministres. Ce n’est jamais le peuple qui se fait applaudir lorsque quelques cadres ayant constitué l’exception à la règle ont permis aux princes de s’attribuer les mérites d’un succès commun.

Monsieur le Ministre, malheureusement, nous sommes une démocratie. Tout se fait au nom du peuple. Quand cela marche, ce n’est pas grâce aux cadres mais plutôt à l’efficacité de l’action gouvernementale n’est-ce pas ? Alors quand vous avez échoué à faire une chose aussi simple que de nous donner de la lumière et de l’eau, ayez au moins la décence de ne rien dire si vous ne savez pas quoi nous dire de moins révoltant.

D’avance merci !

Arnaud Karl Job